Que nous le voulions ou non, les relations raciales ont toujours été présentes dans nos vies, du moins dans la mienne. D’origine canadienne et ouest-africaine, sénégalaise pour être précise, je suis considérée comme métisse, à la peau claire, colorée ou tout simplement comme un grand point d’interrogation. Mon père est blanc, ma mère est noire, et j’ai eu la chance de grandir dans un foyer qui encourageait l’acceptation des deux côtés de mes origines culturelles et génétiques. Pour cela, je serai toujours reconnaissante à mes parents d’avoir fait preuve de clairvoyance. On m’a demandé de choisir le camp auquel j’appartenais le plus? Oui, et j’ai dû apprendre à répondre à cette question sans être obligée de me justifier en tant que personne d’origine ethnique mixte.
J’ai suivi ce qui se passait au sud de notre frontière et il m’a fallu un certain temps pour comprendre ce que je ressentais par rapport à mon héritage blanc, mon héritage noir, mais aussi mon héritage canadien. Lorsque Emzingo m’a offert une plateforme pour partager mes points de vue, j’ai pensé que ce serait un processus bénéfique pour moi et pour d’autres personnes susceptibles de ressentir la même chose que moi.
De Trayvon Martin à Tamir Rice en passant par Philando Castile, mon cœur se brise un peu plus à chaque histoire de ces meurtres policiers, avec des preuves enregistrées mais sans conséquences pour les auteurs. Comment pouvons-nous, en tant que société, permettre que de telles injustices se produisent ? J’ai également eu le cœur brisé par les meurtres des cinq policiers de Dallas (Michael, Michael, Lorne, Patrick et Brent), dont la mort était une riposte imméritée à ce qui s’était passé quelques jours auparavant. Non seulement j’ai éprouvé une grande empathie pour les victimes et leurs familles, mais j’ai pu les comprendre sur le plan humain, car il aurait pu s’agir de mon père, de mon frère, de mes neveux, de ma sœur ou de certains de mes amis, dont les seuls crimes auraient été de correspondre au portrait perçu du danger ou dont le travail faisait d’eux des cibles pour des meurtres de vengeance.
Me trouvant actuellement en Afrique du Sud, je ne peux m’empêcher de me demander quel pays est le plus sûr : celui qui est perçu comme dangereux mais où le dialogue racial est l’un des plus ouverts que j’aie connus, ou un pays [précédemment] perçu comme sûr, mais où les meurtres de Noirs par la police sont récurrents.
Je vis au Canada, un pays considéré comme l’un des plus libéraux et des plus sûrs au monde. C’est vrai, le Canada est un beau pays qui s’est construit grâce à l’immigration et où il est facile de vivre une vie heureuse et pleine de sens. Logiquement, on pourrait penser que l’expérience des Noirs canadiens devrait être très différente de celle des Noirs américains, puisque l’une est l’héritage direct de l’immigration et que l’autre est issue de l’esclavage. Les défis auxquels ils sont tous deux confrontés sont différents, mais malheureusement assez similaires, comme cela semble être de plus en plus le cas.
Lorsque je suis revenue du Burkina Faso pour entrer à l’université à Ottawa, je ne pensais pas que les Noirs canadiens rencontraient des problèmes similaires à ceux que j’entendais dans la musique hip hop ou dans les films. Mais au fur et à mesure que j’évoluais dans la société canadienne, en tant que fille dont l’appartenance ethnique n’est pas facile à cerner, il était clair que je me trompais. Combien de fois ai-je conduit seule sans problème, mais dès que j’avais des passagers majoritairement noirs, la police s’empressait de me demander si je connaissais ces jeunes hommes, si j’étais dans une province francophone ou anglophone ? L’émergence du mouvement Black Lives Matter contre les discriminations policières n’a pas commencé en 2016, c’est un écho de ce que de nombreux Canadiens noirs ont vécu au cours des dernières décennies.
Les recherches de Barrington Walker, historien du droit à l’université Queen’s (Ontario, Canada), font écho à ce que disent les communautés noires canadiennes depuis des années : les citoyens noirs et blancs sont traités de manière radicalement différente en matière de police, d’inculpation, de procédures judiciaires, de condamnation, d’arrêts aléatoires et d’emprisonnement. Ce traitement inégal de la communauté noire n’est pas reconnu par la société canadienne dans son ensemble, car les mesures prises par les auteurs sont rapides et souvent négligées. Il est intéressant d’observer à quel point les Canadiens sont surpris lorsqu’ils réalisent que le racisme est présent dans leur tissu social. Le racisme subi par la communauté noire canadienne n’est pas nécessairement évident, mais il crée des habitudes et des comportements qui vous apprennent à craindre la police et à vous considérer comme une cible, que vous ayez tort ou raison (c’est ce que l’on appelle communément « le discours » dans les foyers noirs).
Néanmoins, avec l’essor des médias sociaux et des initiatives de sensibilisation, nous comprenons mieux le problème, car nous pouvons nous mettre à la place de la communauté ciblée et comprendre la peur et l’incertitude qu’elle ressent. Un bon exemple est la conférence de presse au cours de laquelle le Dr Brian Williams, chirurgien dans l’un des hôpitaux traitant la nuit de la fusillade, qui se trouve être noir, a mentionné que, bien qu’il traite ses patients indépendamment de leur travail et de leur couleur de peau, il aura toujours peur de la police. Si un chirurgien éprouve une telle réaction à l’égard de la police, comment peut-on s’attendre à ce qu’un jeune homme de 20 ans réagisse différemment ? Il est important de noter que l’histoire d’un traitement inégal crée une spirale de discrimination et nous fait prendre conscience que les communautés noires ne sont pas les seules à être traitées injustement au Canada. En fait, l’un des plus vilains secrets du Canada est le traitement des citoyens des Premières nations, qui peut rappeler le régime d’apartheid en Afrique du Sud (pour en savoir plus, voir What Canada committed against First Nations was genocide. The UN should recognize it).
Je n’ai pas les réponses à toutes ces questions, mais la première étape pour arrêter cette spirale est de diffuser l’information, oui, mais aussi de permettre à chaque partie concernée de communiquer et d’entamer un dialogue ouvert et constructif sur leurs propres perspectives et expériences afin que nous puissions inclure plus d’empathie dans le traitement des uns et des autres. Comme l’a dit le Dr Brian Williams, « il n’y a vraiment, à mon avis, aucune chance d’obtenir un changement véritable et durable tant que nous ne sommes pas au moins prêts à reconnaître que les hommes noirs sont pris pour cible dans tous les segments de la société. Une fois que nous l’aurons reconnu, nous pourrons aller de l’avant, nous pencher sur les raisons de cette situation et nous rassembler pour faire de ce pays un endroit bien meilleur pour nos enfants » (trouvé dans Treating the Police, Fearing the Police).
Cela permettra de restructurer la formation des fonctionnaires afin de briser les stéréotypes systémiques qui se perpétuent et de résoudre les problèmes sans recourir au modo operandis « tirer d’abord, demander ensuite ». Et surtout, si le Canada veut rester grand, fort et libre et se différencier des États-Unis avant qu’il ne soit trop tard, il doit trouver un moyen d’égaliser ses services à un niveau fondamental et humain, pour tous ses citoyens, qu’ils soient blancs, noirs, des Premières nations ou asiatiques.
Si mon point de vue correspond au vôtre, nous serions ravis d’entendre vos voix, vos pensées, vos sentiments et vos histoires.
Personnellement, j’ai hâte d’entendre ce que vous avez à dire !
Dans la perspective d’un avenir meilleur pour les générations futures.
– Julie Savaria